Dvaravati, aux sources du bouddhisme en Thaïlande

Jeudi 9 avril 2009

Compte rendu de la visite conférence de l’exposition du Musée Guimet Dvâravatî, aux sources du bouddhisme en Thaïlande, commentée par Madame Anne- Colombe Launois-Chauhan, conférencière aux musées Guimet et Cernuschi.

Nous nous sommes d’abord arrêtés devant les trois grandes photographies en introduction à l’exposition qui contextualisent les sculptures. Le grand Bouddha du Wat Na Phra Men, VII-VIII° siècle, (Ayuthaya), archétype du Buddha de l’époque de Dvâravatî. Il est assis sur un trône, les jambes pendantes dans la position dite à tort « à l’européenne », les pieds ne touchant pas le sol. Cette statue transportée au XIV° siècle de Nakhon Pathom fait toujours l’objet d’une grande dévotion comme le soulignent les nombreuses offrandes. Une stèle en grès laquée et dorée qui fut encastrée dans la base du grand Buddha du Wat Suthat de Bangkok. Cette œuvre typique de l’art de Dvâravatî illustre deux épisodes de la vie du Buddha : en haut il est assis sur un trône environné de symboles royaux (chasse-mouche, bannière, éventail) et faisant le geste de l’enseignement (vitarka mudrâ), au registre inférieur est représenté le miracle de Sarâsvatî. Enfin le grand Buddha assis, en quartzite, IX° siècle, provenant de Nakhon Pathom, maintenant au musée de Bangkok, lui aussi assis jambes pendantes, mais reconstitué à partir d’éléments de quatre statues différentes.

Buddha assis. IX° s. Nakhon Pathom. Musée National Bangkok. (cl. M. Colas)

La culture de Dvâravatî semble être issue de royaumes urbains développés dans les plaines centrales de la Thaîlande habitées alors par une population mônes, du VI° -IX° siècle, voire jusqu’au XIII° siècle dans le nord du pays. Ce devait être une mosaïque de petits royaumes plutôt qu’une seule entité. Les villes importantes dont on a beaucoup de vestiges en seraient Nakhon Pathom, U Thong, Khu Bua et Si Thep. Ces villes furent construites près des cours d’eau ou de la mer qui servaient de voies de communication fluviales et maritimes. Très peu d’inscriptions nous sont parvenues et une petite monnaie d’argent a la particularité de porter un texte rédigé en sanskrit mentionnant « œuvre méritoire du seigneur de Dvâravatî ». Cet objet est le plus petit de l’exposition mais aussi le plus précieux car c’est en Thaïlande la seule mention explicite du nom de ce royaume.

L’art de Dvâravatî est influencé par l’art indien Gupta (petite sculpture en grès de Buddha debout, V°-VI° siècle, dans le style de Sârnâth), d’Amaravati et Pâla (Buddha debout en bronze faisant le double geste de l’enseignement). La richesse de Dvâravatî était due aux échanges commerciaux internationaux comme en témoignent une empreinte de sceau en terre cuite montrant un navire de haute mer, une lampe à huile d’un modèle issu de Byzance ou cette brique gravée du profil d’un étranger (peut-être un Sogdien venu d’Iran).

Il ne reste que les bases des monuments construits à cette époque car les superstructures ont disparu. La latérite, la brique et le bois semblent avoir été les matériaux de prédilection utilisés pour les constructions, mais l’usage intensif du stuc pour la décoration est une des caractéristiques de Dvâravatî. Une réduction d’architecture en terre cuite donne une idée de l’aspect que pouvaient avoir ces édifices disparus. Une stèle en grès du VII° siècle montre le Buddha en méditation, lors de la méditation de son Eveil, assis sur les anneaux du nâga (serpent) Mucilinda qui le protège de son capuchon à têtes multiples. Il est encadré par deux ganas (nains atlantes) portant chacun un stûpa qui illustre une forme d’architecture religieuse courante en Thaïlande, les chedi, caractérisés par l’empilement de parasols de tailles décroissantes qui forment un cône.

Si le bouddhisme semble prédominant, l’hindouisme était aussi pratiqué au Dvâravatî comme en témoignent trois objets du VII-VIII° siècle : une tablette rituelle en calcaire montrant la déesse de la Fortune Lakçmi ondoyée par des éléphants, une statue de Viçnu dont on ne sait si elle est de style préangkorien ou de celui de Dvâravati et enfin une stèle figurant Çiva appuyé au taureau Nandin devant le mont Kailaça. Les parures, le costume et la ceinture de Çiva, nouée haut sur le torse font partie du répertoire caractéristique de l’art de Dvâravatî.

La roue de la loi (dharmaçakra), image symbolique de la loi bouddhique, semble avoir connu une grande diffusion dans les royaumes de Dvâravati. A l’image des piliers d’Ashoka du III° siècle avant J.C. en Inde, elle était posée sur un abaque au sommet d’un haut pilier. Aux quatre angles de l’abaque pouvaient être encastrées de petites sculptures de gazelles couchées pour évoquer le premier sermon du Buddha dans le parc aux gazelles à Sârnâth. Ces roues, dont les rayons évoquent des balustres à chapiteaux ioniques, sont ornées d’un riche décor végétal. Il existe deux types de roues : celles qui sont « ajourées » et dont les rayons sont traités en trois dimensions et les roues « pleines » où les deux faces sont sculptées en bas-relief. Certaines roues présentent un étau en forme de triangle, parfois remontant jusqu’au moyeu comme une fourche de bicyclette, qui donne l’impression qu’elles peuvent tourner autour de leur axe, ce qui ajoute une dimension rayonnante solaire.

Roue de la Loi. Calcaire. VII° s. Nakhon Pathom. Musée National Bangkok. (cl. M. Colas)

Presque toutes les roues présentent un moyeu comportant une mortaise non polie et dans la partie supérieure du moyeu une perforation. Cette particularité expliquerait qu’on ait associé au dharmaçakra une représentation de Buddha debout sur un animal fantastique, Phasnabodi (corps ailé, parfois humain et tête de rapace parfois cornu ou d’homme), tenant deux lotus sur lesquels se tiennent deux personnages tenant un chasse mouche ou un parasol. Cette hypothèse n’a pu être encore vérifiée car on n’a jamais trouvé de Buddha sur Phasnabodi associé à une roue mais la perforation de ces sculptures renvoie à celle des roues. Cette représentation est en tout cas spécifique de l’art de Dvâravatî et met l’accent sur la diffusion de la loi par le Buddha lui-même.

Une autre caractéristique de cet art est illustrée par une stèle en forme de pétale de lotus représentant la rencontre du Buddha Sakyamuni et du brahmane Sotthiya. Celui-ci apparaît, vêtu d’un pagne et coiffé du chignon des ascètes, tenant une faucille. Après avoir obtenu de l’herbe Kusa du brahmane, le futur Buddha se rendit sous l’arbre pippal qui apparaît en arrière-plan où il atteignit l’Illumination. Ces stèles, nommées sema en Thaïlande, sont des bornes rituelles peut-être héritées d’une tradition mégalithique funéraire. Elles peuvent être isolées ou groupées, aniconiques ou sculptées, mais semblent toujours délimiter une aire sacrée. Un autre sema, partiel, illustre le Kulâvaka Jâtaka avec, au centre, Indra, richement paré et tenant le vajra, assis entre sa monture l’éléphant Aîravata et trois femmes que leur mérite à fait renaître dans l’entourage du dieu, alors qu’une quatrième, pourtant de plus haute condition, mais moins vertueuse, s’est réincarnée sous la forme d’un oiseau.

Comme en Inde, les plaquettes votives moulées en terre cuite ont connu un grand succès au Dvâravatî : elles représentent souvent des figurations du Buddha avec un luxe de détails. Servaient-elles comme dépôt de fondation, comme pratique méritoire lors d’un pèlerinage ou peut-être seulement comme amulettes ?

Le décor des monuments de cette époque était généralement réalisé en stuc ou en terre cuite pour certains sites.

A Nakhon Pathom, de nombreux éléments de sculptures en stuc ont été découverts à la base du Chedi Chula Pathon. En plus d’éléments proprement de décor architectural (têtes de lion ou de yakça) il y a de nombreuses plaques en bas-relief qui illustrent les Jâtaka (vies antérieures du Buddha). Généralement les figures sont moulées puis terminées par des artistes avec l’aide d’une gouge pour leur donner une plus grande personnalité : le visage étant fait d’un stuc plus fin que celui utilisé pour le corps.

Un éléphant portant sa défense brisée pour l’offrir à un chasseur illustre le Chaddanta Jâtaka, deux personnages en prière devant un éléphant illustre le Hastin jâtaka où l’animal (futur Buddha) donne sa chair à manger aux deux affamés. Une scène du Surûpa Jâtaka montre le roi Surûpa qui offre son enfant, son épouse et lui-même à un yakça. La résignation de la reine est remarquablement exprimée pars l’inclinaison de sa tête, ses mains croisées et sa pose pleine de retenue. A U Thong on trouve aussi bien des éléments en stuc qu’en terre cuite. Le style est plus expressif comme ces deux danseurs en terre cuite qui prenne la pose emblématique des danseurs de l’Asie du Sud-Est avec une rétroflexion du coude qu’on retrouve au Champa (le Vietnam ancien). Un Buddha assis en méditation présente encore des traces de polychromie.

De Khu Bua proviennent de nombreux éléments de décor en terre cuite (arcatures, colonnettes, balustres, plaques décoratives à décor végétal), mais aussi des fragments de grandes sculptures de personnages masculin richement parés (bodhisattvas ?) qui reprennent les modèles indiens qu’on peut voir aux V°-VI° siècle à Adjanta.

Personnages princiers. Terre cuite. VII°-VIII° s. Khu Bua. Musée National Bangkok. (cl. M. Colas)

Certains éléments sont aussi en stuc tel cet orchestre de cour féminin où les instruments sont parfaitement individualisés : cithare sur tube d’influence indienne, cymbales, luth d’influence chinoise. Les musiciennes sont coiffées de chignons coniques, les oreilles allongées par de lourdes boucles d’oreilles typiques de Dvâravati. Un autre relief montre deux figures féminines agenouillées. La première est richement parée de bracelets, brassards à fleurons en plus du collier à plaque pectorale et des anneaux d’oreilles évoquant une princesse accompagnée de sa suivante.

La représentation du Buddha en double geste d’enseignement ou d’argumentation (vitarka mudrâ) est une singularité de l’art de Dvâravatî et est illustrée par de nombreuses statuettes en bronze.

Buddha en double vitarka mudrâ. Bronze. VIII° s. Musée National Bangkok. (cl. M. Colas)

Le grand Buddha debout, VII-VIII° siècle, du Wat Na Phra Men d’Ayuthaya en calcaire est une œuvre exceptionnelle. Le Bienheureux est vêtu de la robe monastique couvrant les deux épaules et laissant apparaître le corps en transparence. Même si l’influence de l’art Gupta est évidente (école de Sârnâth), le visage présente ici toutes les caractéristiques de l’art de Dvâravatî : contour arrondi, pommettes hautes, lèvres charnues, sourcils dessinant une ligne continue et ondulante en V ainsi que les paupières mi-closes au galbe élégant.

Buddha debout. Calcaire.VII°-VIII° s. Ayuthaya. Musée National Bangkok. (cl. M. Colas)

La tête monumentale en calcaire laqué et doré provenant de la province de Ratburi présente ces mêmes traits bien que les yeux paraissent un peu plus globuleux.

Tête monumentale de Buddha, Calcaire laqué doré. VIII° s. Province de Ratburi.
Musée National Ratburi. (cl. M. Colas)

Un Buddha assis en méditation et prenant la terre à témoin présente le symbole de la roue gravé sur la paume des mains et la plante des pieds.

Un Buddha debout en pierre faisant le double geste de l’enseignement présente encore des traces de polychromie. Une image inachevée du Buddha debout de la province de Singburi montre comment les pièces étaient seulement dégrossies dans la carrière d’extraction avant leur achèvement sur le lieu auquel elles étaient destinées.

Une très belle extrémité de chevet en calcaire ornait à l’origine le dossier d’un trône. Il rappelle la première photographie de l’exposition. Richement décorée de feuillages, de perles et de motifs géométriques, il se termine par une tête de makara (monstre aquatique protecteur, symbole des forces créatrices de l’eau) crachant un lion.

Une base de stupa votif en grès est ornée de gana (nains) dansants.

Hariphunchai (ville actuelle de Lamphun) est un royaume du Nord, fondé en 661 selon la tradition légendaire, qui connut son apogée aux XII°-XIII° siècles. Quelques monuments à Lamphun présentent encore des superstructures ornées de stucs de cette époque.

Ratana Chedi. Wat Kukut. XII° s. Lamphun. (cl. M. Colas)

Si la sculpture est le prolongement de celle de Dvâravati elle s’imprègne des influences nouvelles, notamment khmères (ceci transparaît dans les visages plus carrés) mais aussi birmanes (bourrelet fin mais très saillant à la taille en fait de ceinture) tout en créant son propre style (menton bifide, yeux globuleux, bouche large aux lèvres ourlées, boucles de cheveux qui se hérissent en cônes).

Si la tête de Buddha sur fond de stèle en grès du Wat Phra That Hariphunchai de Lamphun est un bel exemple du style du premier art môn (VIII°-IX° siècle), le grand Buddha debout en bronze (XII° siècle), provenant du même temple, est typique de l’apogée de l’art de Hariphunchai. Cette sculpture fragmentaire, est d’une technique remarquable et annonce peut-être les bronzes monumentaux des royaumes thaïs de Sukhothai et d’Ayuthaya.

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