Le bouddhisme chinois à l’époque des Tang

Mercredi 21 novembre 2007

Par Gilles Béguin, Conservateur Général du musée Cernuschi

Notre cher Gilles a brillamment rendu simple ce qui est tout de même compliqué et, ceci, avec sa verve et son humour habituels.

SITUATION DU BOUDDHISME A L’AVENEMENT DES TANG

C’est déjà une religion ancienne en Chine puisque elle fut introduite au début de notre ère. Elle reste cependant considérée comme une religion étrangère et exotique en dépit de certaines analogies avec le taoïsme.

Des problèmes demeurent au sujet de l’exactitude des traductions des textes sacrés (les premières remontant au III° siècle) malgré les efforts de Kum?rajiva (vers 344-413) :

  • insécurité des sources : le texte est-il fidèle au modèle supposé ?
  • aspect lacunaire des sources : des textes manquent.
  • problèmes de traductions : le génie des langues sanskrite et chinoise diffère.

Différentes écoles se sont créées dès l’introduction du bouddhisme en Chine.

Parallèlement, il existe une longue tradition de mécénat impérial : dans le Nord, les états « barbares » (216-618) tels que les Wei et les Qi construisent de nombreux temples et monastères (pagode du Songshan et pagode Simenta à Jinan) et font creuser et décorer des grottes (Yungang, Dunhuang et Longmen).
Au Sud il reste peu de traces d’un mécénat également très important.

Si l’époque Tang est considérée comme l’apogée du bouddhisme en Chine, il faut tout de même différencier trois périodes :

  • l’apogée politique des Tang (618-755) : le bouddhisme est particulièrement soutenu sous le règne de l’impératrice Wu Zetian (690-704) qui l’utilise parallèlement au système des examens pour dominer la noblesse.
  • La renaissance des Tang (763-843) : après la révolte d’An Lushan, il se produit un changement dans les mentalités qui va entraîner les grandes persécutions.
  • Les dernières décennies (843-907).

L’APOGEE POLITIQUE DES TANG (618-755)

Les Pèlerins :

Les pèlerins entreprennent ces très longs voyages autant par désir d’obtenir des textes nouveaux et corrects que pour se recueillir sur les hauts lieux du bouddhisme.

  • Xuanzang (602-664), le plus important d’entre eux, quitte la Chine en 629, contrevenant à un édit impérial, pour ne revenir qu’en 645 avec 657 textes (il va en traduire 75) et 150 reliques du Bouddha. En 649, l’empereur Taizong le nomme supérieur du Temple de la Grande Bienveillance. Il préside le bureau de traduction.
  • Ban Qi, son élève, fait un comte-rendu de voyage « Relations des pays de l’Ouest à l’époque des Grands Tang », texte parodié au XVI° siècle pour devenir un classique de la littérature chinoise.
  • Xuanzhao qui voyage de 648 à 655.
  • Xuantai dans la deuxième moitié du VII° siècle.
  • Buddhadharma qui traverse le plateau tibétain vers 670.
  • Yijing (635-713) qui passe par l’Asie Centrale vers 671 et fait un deuxième pèlerinage dont il revient en 695.
  • Huichao dont le retour se fait en 721.
  • Zhihang passe par Sumatra vers 740.
  • Wukong qui fait un périple de 751 à 790.Il est à noter que ces pèlerins suivent différentes routes, soit les pistes caravanières au nord ou au sud du bassin du Tarim, soit les routes maritimes du Sud, pouvant faire l’aller par un  itinéraire et utiliser un autre pour le retour.


Paradis d’Amitâbha,
caverne N°25, ANXi, près de DUNHUANG,
Cl. Gilles Béguin.

Les Ecoles ou « zong » :

  • L’école Faxiang, « école des particularités des choses », fondée par Xuanzang et l’un de ses disciples. Elle est basée sur une doctrine d’un idéalisme extrême issue des Yogâcâna (ceux qui pratiquent le yoga) indiens : l’illusion de la réalité. Elle est centrée sur le Prajnâparamitâ sûtra et présente un enseignement épistémologique et idéaliste. Son centre est le Daci’en si, temple de la Grande Bienveillance, fondé par l’empereur Taizong en 647, en mémoire de sa mère (pour l’acquisition de mérites post-mortem).
  • L’école Huayan, « école de l’Ornementation Fleurie », fondée par un disciple dissident de Xuanzang, Fazong (642-712). Le texte fondamental en est le Avatâmsaka sûtra ou « sûtra de l’Ornementation Fleurie ». Cette doctrine ne parvient pas à convaincre l’impératrice Wu Zetian.
  • L’école Jingtu, « école de la Terre Pure », fondée par le moine Huiyan à la fin du IV°siècle. Après une lente progression elle devient le mouvement religieux le plus important de l’époque Tang. Elle est centrée sur les Sukhavativuyûha sûtra ou « sûtra de la constitution de la Terre Pure » et Amitâyasdhyâna sûtra ou « sûtra de la contemplation d’Amitâyus ». Cette école développe des pratiques piétistes et ritualistes en l’honneur d’Amitâbha (Bouddha de l’Ouest). Le thème iconographique souvent représenté du « Paradis » d’Amitâbha le représente entre Avalokiteçvara et Mahâsthâmaprâpta, entourés de bouddhas et de boddhisattvas, avec, à leurs pieds, l’étang des sept joyaux où les renaissants apparaissent sur des lotus et une estrade où se produisent des musiciens et un danseur.D’autres Terres Pures sont créées : le moine Yijing (625-713) propage le culte de Abhirati « plaisir suprême », Terre Pure d’Akçobhya et la Terre Pure de Bhaisajyaguru, le Bouddha Guérisseur, mais il y a aussi la Terre Pure de Çâkyamuni, celle de Maitreya, etc.
  • La secte Zhenyan (en japonais Shingan) fondée par un moine indien originaire de l’Orissa, Sûbhakarasimha (637-735), arrivé en Chine en 716, qui traduit le Mahâvairocana sûtra à la demande de l’empereur Xuanzong, et l’indien Vajrabhodi (671-741), arrivé en 719. Ils implantent le bouddhisme ésotérique dans la capitale. Ses deux temples principaux à Chang’an sont le Daxingshansi et le Qinglingsi. Cette secte se caractérise pour ses rituels et exorcismes ainsi que la beauté et la somptuosité de ses cérémonies. Elle introduit deux diagrammes complémentaires autour de Mahâvairocana et il en est créé un en marbre blanc en trois dimensions.
  • La secte Mizong (ou Tiantai), « secte des secrets » connaît un essor sans précédent entre le VII° et le VIII° siècle. Le texte fondamental, traduit par Kumârajîva en 406, en est le Saddharmapundarîka sûtra. Huisi (515-577) et Zihyi (538-597) hiérarchisent les enseignements bouddhiques en cinq degrés correspondant au cinq prêches du Bouddha Çâkyamuni, chacun durant une décennie. La secte favorise le culte des boddhisattvas et plus particulièrement Avalokiteçvara. Zihyi se retire sur le mont Tientai, « la Montagne de la Terrasse Céleste », au Zhejiang, d’où le nom Tendai de la secte au Japon.
  • La secte Chan (au Japon Zen) au caractère méditatif et contemplatif ne tient qu’un rôle secondaire sous les Tang.

En réalité les particularités des écoles ne sont pas aussi tranchées et des patriarches appartiennent à plusieurs écoles (Zihyi appartient aux écoles Mizong et Huayan) et l’école Huayan emprunte au Chan ses pratiques intuitives. Il en est de même en iconographie.

LA RENAISSANCE DES TANG, LE CHANGEMENT DES MENTALITES (763-843)

Si la révolte d’An Lushan (755-763) ne touche le clergé bouddhique ni dans ses biens ni dans son dynamisme intellectuel, la réaction au pouvoir tyrannique de Wu Zetian va entraîner des persécutions. Apparemment sans suite, c’est pourtant le début d’un mouvement qui va se renforcer dans la deuxième moitié du VIII° siècle.

Le mouvement Guwen « style antique », du nom d’une forme archaïque d’écriture mise à la mode par Liu Zongyuan (773-819), est anti-bouddhique et annonce le néo-confucianisme des Song. Le polémiste le plus virulent, Han Yu (768-824) considère le bouddhisme comme une religion étrangère, anti-nationale et dévirilisante  (les moines ne peuvent ni porter les armes ni procréer). Il est, de plus, reproché au bouddhisme les exemptions fiscales des monastères, le poids économique d’un clergé considéré comme parasitaire, les sommes considérables consacrées à l’édification des lieux de culte, le système des « cloîtres méritoires » créés par les grands propriétaires terriens pour échapper à l’impôt foncier.

LA GRANDE PERSECUTION (843-845)

En 843, l’empereur Wuzong (841-846) proscrit les cultes étrangers. Le bouddhisme est épargné dans un premier temps, mais ce sera ensuite une persécution opiniâtre :

  • Renvoi de 260 000 moines et nonnes à la vie laïque ainsi que 150 000 dépendants.
  • Confiscation des biens privés des bonzes.
  • Suppressions des cérémonies bouddhiques dans les cultes officiels.
  • Inventaire des biens sacrés des monastères.
  • Confiscation des terres, des serfs, du numéraire et des métaux précieux.
  • 40 000 chapelles détruites ou désaffectées.
  • 46 000 monastères détruits ou transformés en bâtiments publics. Seuls, quelques temples impériaux subsistent avec un petit nombre de religieux.

 

Cette persécution vise en fait le pouvoir économique des monastères plus que la pratique de la religion. Finalement éphémère, puisque l’empereur Xuanzong (847-860) revient sur la majeure partie des décrets publiés par son prédécesseur, elle provoquera néanmoins un arrêt de l’élan intellectuel et une stérilisation du bouddhisme.


Foguangsi, dédicacé en 857 après reconstruction,
Cl. Gilles Béguin.

LES DERNIERES DECENNIES (843-907)

Les bâtiments sont restaurés (le Foguangsi en 857 au Wutaishan, la pagode Famensi).

Si cette période voit la recension des textes sacrés par xylographie et le début des grandes compilations, il n’y a plus la force motrice ni l’élan intellectuel.
En conclusion, l’époque Tang voit la fixation définitive du canon textuel (traductions et commentaires) et la fixation du canon esthétique vers 700 (alors que l’art bouddhique chinois avait évolué très rapidement depuis le V° siècle avec des mutations iconographiques plus ou moins tous les vingt-cinq ans). Le seul renouvellement sera l’art lamaïque remis en usage sous les Qing.

Mais une grande partie de l’élite intellectuelle se détourne du bouddhisme, mouvement qui s’accentuera sous les Song, au XII° siècle, avec le néo-confucianisme.

Et surtout, elle voit la montée irrépressible d’un bouddhisme populaire, syncrétique (introduction de divinités taoïstes) pour l’obtention d’avantages immédiats (guérisons, succès, etc.).


 

 

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